En 1959, le père Caffarel, lors de la journée des Responsables d'Équipes du mouvement, précisa l'esprit de la Charte et donna un éclairage sur sa "Première partie" qui "ambitionne de présenter brièvement la perfection chrétienne telle quelle s'impose à tous les chrétiens mariés".
Vous retrouverez ci-après des extraits de ses propos lors de cette journée.
1 Ils ambitionnent d’aller jusqu’au bout des engagements de leur baptême.
2 Ils veulent vivre pour le Christ, avec le Christ, par le Christ.
3 Ils se donnent à lui sans condition.
4 Ils entendent le servir sans discuter.
5 Ils le reconnaissent chef et Seigneur de leur foyer.
6 Ils font de son Évangile la charte de leur famille.
7 Ils veulent que leur amour, sanctifié par le sacrement de mariage, soit : une louange à Dieu
8 un témoignage aux hommes leur prouvant avec évidence que le Christ a sauvé l’amour,
9 une réparation des péchés contre le mariage.
10 Ils entendent être partout les missionnaires du Christ.
11 Dévoués à l’Église, ils veulent être toujours prêts à répondre aux appels de leur évêque et de leurs prêtres.
12 Ils se veulent compétents dans leur profession.
13 Ils veulent faire de toutes leurs activités une collaboration à l’œuvre de Dieu et un service envers les hommes.
14 Parce qu’ils connaissent leur faiblesse et les limites de leurs forces, sinon de leur bonne volonté,
15 parce qu’ils expérimentent chaque jour combien il est difficile de vivre en chrétien dans un monde païen
16 et parce qu’ils ont une foi indéfectible en la puissance de l’entraide fraternelle,
17 Ils ont décidé de faire équipe
Autrefois nous n'avions pas de Charte. À vrai dire un danger menaçait les membres des équipes. Le danger qui menace tout mouvement où il y a un esprit, une mystique, mais pas d'obligations pour aider à vivre de cet esprit et de cette mystique.
Aujourd'hui, grâce à la Charte, les équipiers sont sérieusement encadrés et soutenus par des obligations. Mais le danger c'est de vider les obligations de leur esprit.
Ce qu'il faut redouter c'est que la pratique de la Règle devienne une finalité, un idéal, un plafond, et qu'il apparaisse aux membres des équipes que la perfection chrétienne consiste purement et simplement à respecter les obligations, d'où facilité et possibilité d'être parfait moyennant quelques efforts, d'où le contentement de soi, la bonne conscience, – le sentiment d'être un "juste".
L'antidote du danger se trouve dans la Charte elle-même.
C'est la première partie de la Charte qui répond à cette question : pourquoi les Équipes Notre-Dame ?
Ces premières pages de la Charte en sont la partie principale qui définit la raison d'être, le but, la finalité des équipes. Les autres parties précisent les moyens pour tendre vers cette finalité.
En effet, toute l'ambition de cette première partie est de présenter brièvement la perfection chrétienne telle quelle s'impose à tous les chrétiens mariés.
N'importe quel Mouvement de foyers ayant pour objectif de conduire ses membres vers une vie toujours plus chrétienne pourrait se rallier sans gêne à ce condensé de la spiritualité du chrétien marié.
Ce qui est original dans notre Charte, c’est les moyens adoptés pour parvenir au but que la première partie nous montre.
Et pourtant il faut dire de cette première partie qu'elle est de beaucoup la plus importante. Sans elle on aurait bien tout le reste, on connaîtrait les moyens mais les moyens ne seraient pas orientés, on aurait un véhicule mais sans connaître la destination à laquelle parvenir et alors les moyens deviendraient finalité, et la sainteté serait ni plus ni moins la parfaite pratique des moyens.
Grâce à la première partie, les moyens sont orientés vers la perfection de la vie chrétienne et l'on est préservé de faire des moyens une finalité.
Dans les treize premières lignes de cette première partie revient huit fois le mot : « Ils veulent ».
Je rectifie pour être plus exact : trois fois cette expression est remplacée par une expression synonyme mais cela uniquement par scrupule littéraire. Une fois il est dit : « ils ambitionnent », au lieu de « ils veulent », deux fois il est écrit : « ils entendent … le servir sans discuter », etc.
Ils veulent, c'est un mot capital. Ils proclament : nous ne sommes pas parvenus à … mais y tendons, nous sommes décidés à y parvenir. Ce mot proteste contre l'attitude de ceux qui se croient arrivés, en règle, installés. Ce mot proteste contre le contentement de soi. Ce mot qui revient comme un refrain obsédant : il est un aveu d'impuissance, si l'on « tend vers », c'est que l'on n'est pas parvenu. Il est le ressort secret animant tout ce qui se fait aux Équipes.
Notez bien qu'il ne fait pas allusion à une vague intention, (le proverbe dit : l'enfer est peuplé de bonnes intentions), mais qu'il exprime une tension délibérée, volontaire, vigoureuse. Ils veulent, non pas ils ont voulu mais ils veulent, actuellement ils veulent. La tension que ces termes expriment ne doit jamais se relâcher, car le terme vers lequel on tend on peut s'en rapprocher toujours, on ne peut jamais l'atteindre, il s'agit ni plus ni moins « d'être parfait comme le Père céleste est parfait ».
Celui aux Équipes qui renonce à avancer contrevient à l'engagement fondamental qui est exprimé par ces mots « ils veulent ». Quelle que soit l'altitude spirituelle à laquelle on est parvenu, il s'agit toujours de tendre vers plus.
Ce qui fait la valeur d'un être, ce n'est pas l'altitude qu'il a atteinte mais l'élan ; la tension qui l'anime, voilà ce qu'exprime ce mot de la première partie de la Charte.
« Ils ambitionnent d'aller jusqu'au bout des engagements de leur baptême ».
L'engagement du baptême c'est, pour un chrétien, l'engagement fondamental de son existence. Tous les autres engagements ne sont que des moyens modestes pour aider à la réalisation de cet engagement premier : la promesse scoute, les vœux religieux eux-mêmes...
« Ils se donnent au Christ sans condition », c'est là renouveler l'engagement du baptême !
Pour qui aime, il n'est qu'une seule manière de se donner : « sans condition ». Qui pose une condition, quitte l'ordre de l'amour pour entrer dans celui du négoce.
« Ils veulent vivre pour le Christ, avec le Christ, par le Christ ».
"Pour" désigne la destination, je travaille pour gagner de l'argent, je travaille pour mes enfants.
Le but poursuivi c'est le Christ. En tous mes actes. Ce qui n'empêche que je puis avoir un but intermédiaire, du moment qu'il n'est pas en contradiction avec le Christ. Je peux travailler pour mes enfants mais il n'empêche que je travaille pour le Christ.
"Avec", c'est-à-dire en compagnie, ensemble, en collaboration. La vie chrétienne c'est une vie à deux avec le Christ.
« Par », « de même que je vis par mon Père, celui qui me mange vivra par moi ». C'est le Christ qui sera au principe de tous mes actes, c'est Lui qui sera l'âme de mon âme.
« Ils entendent le servir sans discuter ».
Aimer, c'est faire la volonté d'un autre, c'est coopérer à son œuvre, c'est le servir. « Serviteur », en français ce mot a un sens faible, dans la Bible, il a un sens fort. C'est coopérer au culte de Dieu et à son œuvre. C'est le grand titre du Messie : « Le serviteur de Yahvé ». C'est le titre qu'ambitionne la Vierge Marie : « Je suis la servante du Seigneur ». C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la phrase que je viens de vous lire : « Ils entendent le servir sans discuter ».
« Les membres des Équipes Notre-Dame ambitionnent d'aller jusqu'au bout des engagements de leur baptême », mais ils ont reçu également un autre sacrement : le mariage. Celui-là aussi ils entendent le vivre en plénitude.
« Ils reconnaissent le Christ chef et Seigneur de leur foyer ».
Cette petite cellule d'Église qu'est le foyer, comme le soulignait Jean XXIII à Rome, a pour chef le Christ. Le père et la mère ne sont que les lieutenants du Christ.
Seigneur de leur foyer : donnez au mot « Seigneur » son sens biblique qui est équivalent à « Dieu ». Le Christ dit au foyer ce que Dieu disait autrefois au peuple Juif : « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple ».
« Ils font de son Évangile la charte de leur famille ».
Charte égale « Règle Fondamentale », telle est la définition du dictionnaire. Ce n'est ni le code des bonnes manières, ni le code de la bonne éducation, c'est l'Évangile qui doit être la Charte du foyer, c'est à lui que l'on doit se référer. L'Évangile, ce petit livre inquiétant, qui délivre de toute velléité de s'installer et de toute menace de contentement de soi.
« Ils veulent que leur amour, sanctifié par le sacrement de mariage, soit une louange à Dieu ».
Comme le chef-d'œuvre est la louange de l'artiste.
« Et aussi un témoignage aux hommes leur prouvant avec évidence que le Christ a sauvé l'amour ».
Obligeant ceux qui les entourent à dire : « Mais quoi, ça existe l'amour ! » Oui, proclame le foyer chrétien, parce que le Christ est venu sauver l'amour.
« Une réparation pour les péchés contre le mariage. »
Tant de foyers ne vivent qu'un amour vulgaire, impur, infidèle. Les foyers des équipes veulent chez eux un surcroît d'amour, un surcroît de pureté et de fidélité pour compenser l'affreux déficit d'amour en tant d'autres foyers.
Le foyer chrétien se veut cellule de ce grand corps qu'est l'Église. Mais attention, qu'il se garde d'être un cancer. Un cancer, ce sont des cellules qui vivent au détriment de tout le corps.
« Ils entendent être partout les missionnaires du Christ ».
Mission, un des grands mots du christianisme. Le Père envoie son Fils parmi les hommes, chargé de mission ; le Christ ses apôtres ; l'Église, chaque chrétien, chaque foyer.
Et notez le mot partout. C'est en effet, au travail, dans les loisirs, dans les moyens de transport, dans les activités syndicales et politiques, etc. ... que les membres des Équipes Notre-Dame doivent se considérer en service commandé, chargés de mission, permanents de la prière.
« Dévoués à l’Église, ils veulent être toujours prêts à répondre aux appels de leur évêque et de leurs prêtres. »
Fiers d'être appelés à coopérer avec la Hiérarchie et les prêtres à l'avènement du Royaume, les foyers des Équipes doivent être « toujours prêts », mais attention, cela ne les dispense pas de se dévouer avec discernement. Sous prétexte de dévouement, négliger des valeurs essentielles de culture religieuse et humaine, l'approfondissement de son intimité conjugale et l'acquittement exact de ses devoirs de parents serait une erreur.
Se dispenser de servir la Cité, d'assumer les tâches temporelles sous prétexte de vie intérieure ou apostolique serait inintelligence de sa responsabilité de chrétien laïque C'est pourquoi la Charte précise :
« Ils se veulent compétents dans leur profession ».
De l'ouvrier ébéniste à l'homme d'état il faut vouloir exceller dans son métier.
Le Christ était certainement le meilleur menuisier de Nazareth.
« Ils veulent faire de toutes leurs activités une collaboration à l’œuvre de Dieu et un service envers les hommes ».
La Charte, ainsi, invite à voir les tâches temporelles dans leur plus haute signification. Non pas gagner son beefsteak.
Voilà présenté en quatre paragraphes, la vie chrétienne personnelle, la vie chrétienne du foyer, le service de l'Église, le service de la Cité, l'idéal chrétien auquel les membres des Équipes Notre-Dame veulent parvenir ou plus exactement vers lequel ils veulent tendre.
Vous voyez combien injuste l'accusation de ceux qui prétendent qu'aux Équipes Notre-Dame nous ne pensons qu'au mariage.
Cette première partie de la Charte montre bien notre ambition de découvrir l'ensemble des exigences de la vie chrétienne, de former le chrétien intégral.
Comme devant cet idéal on se sent faible, alors on recourt à l'entraide entre foyers. C'est même, en un sens, la raison d'être du Mouvement, d'où les dernières phrases de cette première partie de la Charte.
« Parce qu'ils connaissent leur faiblesse et les limites de leurs forces sinon de leur bonne volonté parce qu'ils expérimentent chaque jour combien il est difficile de vivre en chrétien dans un monde païen et parce qu'ils ont une foi indéfectible en la puissance de l'entraide fraternelle ils ont décidé de faire équipe. »
Je vous disais que le meilleur antidote du danger du contentement de soi c'est pour nous cette première partie de la Charte qui met devant nos yeux le but à atteindre. Je pense que vous êtes convaincus après l'analyse que j'en ai faite.
Et pourtant je ne vous cache pas ma crainte. Elle revient à moi d'une façon lancinante sous la forme qui je lui donnais au début : nos équipes vont-elles former des chrétiens vrais ou produire des pharisiens ? Le danger reste permanent. Parce que la tentation est permanente de perdre de vue la première partie de la Charte pour ne plus voir que les obligations.
La tragique histoire des pharisiens risque d'être celle de tout Mouvement de spiritualité si notre Règle, si notre Charte, ne parvient pas à faire acquérir à ses membres une conscience aiguë qu'ils sont des pécheurs, incapables de se sauver eux-mêmes, elle risque fort d'en faire des pharisiens, ces êtres que le Christ a maudits.
Je vous offre un test infaillible pour déceler si le mal du pharisaïsme vous a déjà contaminé.
Après X années de vie d'équipe, avez-vous, plus qu'en entrant dans le Mouvement, le sentiment que vous êtes pécheurs vulnérables, menacés ? Craignez-vous ? Désespérez-vous ? Et vous tournez-vous vers le Christ sauveur avec une plus grande espérance qu'avant ?
Le seul moyen, pour vos équipes, le seul moyen pour chacun de vous, d'échapper à ce danger, c'est de confronter votre vie fréquemment avec la première partie de la Charte, de la confronter aux dix-sept propositions de la première partie de la Charte : alors vous prendrez une conscience vive de la distance qui vous sépare de la perfection, alors vous ne pourrez pas ne pas renouveler votre volonté de parvenir à cette perfection. Alors, vous miserez sur la grâce du Christ et non sur vos propres ressources.
Que la Vierge Marie que, tous les soirs, nous prions ensemble obtienne à tous les équipiers la grâce des grâces :
Celle d'être humbles ou en termes plus bibliques, d'avoir « des âmes de pauvres ».
« Bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume des Cieux est à eux ».
Chanoine Henri Caffarel